Journal de bord

Carnet de sauvetage de Guillaume [#2] , marin-sauveteur à bord de l’Ocean Viking

Libye : « C’est là-bas qu’un bout de l’Humanité a perdu les pédales, que les armes permettent les pires soumissions sur qui n’en a pas. »

Guillaume a rejoint pour la première fois l’équipe de recherche et de sauvetage de SOS MEDITERRANEE en novembre 2019. De retour sur l’Ocean Viking ce printemps, le marin-sauveteur nous fait part de son expérience à bord. Voici le deuxième carnet issu de son journal de bord. 

 

15 au 20 avril

La Méditerranée joue à l’hiver en plein printemps. Elle souffle, peint des cheveux de vieux sur chaque dos de vague, s’adoucit entre le soleil de l’ouest et celui de l’est. On la croit volontiers belle et paisible pour la vie, mais quelques heures s’abattent rapidement et la montrent froide et mauvaise. Les fenêtres météorologiques se referment aussi vite qu’elles s’ouvrent, cette instabilité laisse craindre des sauvetages critiques.

Ce matin avant le lever du jour, alors que nous naviguons dans les eaux internationales, j’ai vu la Libye au loin, les lumières d’abord, avant le ruban gris et vaporeux de la côte posée sur la mer. C’est là-bas qu’un bout de l’Humanité a perdu les pédales, que les armes permettent les pires soumissions sur qui n’en a pas.

Ce n’est pas un pays imaginaire, des personnes le traversent, s’échappent sur des bouts de caoutchouc, forçant la vie pour ne pas mourir.

Avec Erik, nous commençons la ronde journalière pour vérifier les dispositifs de flottaison, nous réinjectons de l’air dans certains, puis je grimpe sur un canot de sauvetage : Easy 3, celui que je pilote. Les amarres de mise à l’eau sont en place, les lampes de recherche avant, arrière et portable fonctionnent, la pompe de cale également, comme la radio VHF, le GPS. Il n’y a pas de résistance dans la barre à roue qui commande le moteur hors-bord et la batterie est bien chargée. Nous vérifions deux fois par jour le bon fonctionnement de l’ensemble des équipements de sauvetage.

Matthieu tire le portrait de ses joyeux compagnons de cabine : Amine et François. Flavio apprend trois accords de guitare à Giuseppe quand d’autres essayent de lire. Le soir, nous mangeons à l’heure des poules et tout le monde est affamé. Nous marchons de travers lorsque nous prenons la houle de biais. Parfois en plein milieu du quotidien, des éclats de rire se font entendre.

 

Crédits photo : Flavio Gasperini / SOS MEDITERRANEE