Journal de bord

Carnet de sauvetage de Guillaume [#1] , marin-sauveteur à bord de l’Ocean Viking

« L’entraînement c’est le travail du sauveteur. »

Guillaume a rejoint pour la première fois l’équipe de recherche et de sauvetage de SOS MEDITERRANEE en novembre 2019. De retour sur l’Ocean Viking ce printemps, le marin-sauveteur nous fait part de son expérience à bord. Voici le premier carnet issu de son journal de bord. 

 

8 au 15 mars

Bloqué au port. Le quai industriel d’Augusta en Sicile a bordé l’ennui de l’Ocean Viking. L’équipage, après le dernier débarquement des rescapé.e.s, était négatif au Covid-19 à l’arrivée, négatif après sept jours (nos narines ont arrêté de compter les tests PCR et antigéniques), mais quatorze jours de quarantaine c’est quatorze jours de quarantaine. Attendre, c’est le nouveau job de l’Humanité. À quoi sert un navire de sauvetage lié à la terre ? À pas grand-chose. La gestion de la pandémie force à l’arrêt pour limiter les morts dans les lits d’hôpitaux. 

Sauver des vies à terre tout en ne pouvant en sauver en mer s’il y a besoin. Un dur constat.  

Les équipier.ère.s débarquent. Ma famille d’un mois rentre à la maison, en Italie, en Roumanie, en Angleterre, en Belgique, aux Philippines. On se retrouvera sans doute bientôt, en quarantaine ou ailleurs. Vivre dans l’espace clos qu’est un bateau demande un savoir-vivre de haute voltige et curieusement, les marins y sont assez habiles. Il y a le travail du bord et la vie quotidienne, des exercices d’abandon du navire et des œufs brouillés au petit-déjeuner, des formations pour la veille aux jumelles et des bougies d’anniversaire, on change de casquettes aussi souvent que nécessaire, on joue dans la même équipe. Les remplaçant.e.s arrivent, déposent sacs et fraîcheur sur le pont. On repart bientôt.

L’Etna est un château dans le ciel que nous laissons dans le sillage. Le navire roule une fois la jetée doublée. « Back at sea », enfin, la mer nous reprend à son bord, je saute sur place ; de joie. Bon, c’est seulement pour deux jours car la météo se dégrade. Deux jours pour que nos inconnu.e.s se révèlent, s’apprivoisent, apprennent à se connaître, et surtout apprennent à travailler ensemble. Les semi-rigides ronflent sur l’eau, je pilote le troisième, Mathieu en équipier et Erik en meneur. On pratique différentes configurations, combinaisons, toutes les manœuvres, dix fois, vingt fois. On simule des sauvetages, on invente des scénarios, les pires et les moins pires.

L’entraînement c’est le travail du sauveteur. Le sauvetage c’est l’application in situ de l’entraînement, quand la réalité nous trouve.

Nous sommes encore sur l’eau, les trois canots de sauvetage semi-rigides et l’Ocean Viking et déjà, la mer se gâte, le clapot a pris une couleur gris métal, il forcit, nous devons écourter un entraînement et récupérer les trois embarcations à bord du navire. Nous faisons route vers Syracuse en Sicile pour nous mettre à l’abri et terminer les dernières formations. La mer est également mauvaise dans les eaux internationales au large de la Libye, ce qui pourrait empêcher les départs depuis la côte. Je suis bien plus réceptif à ce que la mer impose qu’à ce que nos pays ordonnent. C’est sans doute pour ça que j’aime être en mer.

 

Crédits photo : Flavio Gasperini / SOS MEDITERRANEE