#20 [ARTICLE] En 2019, repartir avec un nouveau navire
Suite à une campagne de harcèlement administratif, politique et judiciaire ciblant l’Aquarius, SOS MEDITERRANEE annonçait début décembre sa décision de se séparer du navire qu’elle affrétait depuis le début de ses opérations. Après s’être vu retirer son pavillon sous pressions politiques à deux reprises (Gibraltar puis Panama), puis s’être fait menacer de mise sous séquestre par les autorités judiciaires italiennes, l’Aquarius ne pouvait plus constituer une solution durable pour sauver des vies en mer. Malgré tous nos efforts, nos négociations avec plusieurs pays pour retrouver un pavillon n’avaient pas abouti. Parallèlement, une éventuelle mise sous séquestre du navire aurait signifié un arrêt de l’Aquarius pour une durée indéterminée, sans pouvoir mettre un terme au contrat de location du navire et sans possibilités matérielles et financières de continuer à agir en mer. Nous avons donc pris la décision difficile mais salutaire de nous séparer de l’Aquarius pour mieux repartir en mer car sauver des vies est et restera notre mission !
Le nouveau navire que nous cherchons activement sera pour nous un nouvel outil. Plus récent que l’Aquarius, il sera paré d’un pavillon qui, nous l’espérons, résistera aux pressions politiques. À ce jour nous avons reçu de réelles propositions que nos équipes étudient méticuleusement. Ce navire doit en effet répondre à des critères techniques et des standards professionnels précis, notamment en termes de sûreté et de sécurité : être de taille sensiblement égale à celle de l’Aquarius, avec assez d’espace pour y installer une clinique, différents lieux d’accueil pour les rescapés et au moins deux canots de sauvetage semi-rigides pour nos opérations en mer.
Navires de sauvetage cherchent « lieu sûr » où débarquer
Pendant ce temps, en Méditerranée centrale, plusieurs navires d’ONG ont enfin pu retourner dans la zone de recherche et sauvetage en fin d’année 2018, après plusieurs mois bloqués au port suite à la criminalisation dont ils avaient été victimes. L’ONG espagnole Proactiva-Open Arms a secouru plus de 300 personnes au large de la Libye quelques jours avant Noël et, essuyant les refus de plusieurs pays côtiers pour débarquer les rescapés en lieu sûr, a navigué sept jours durant pour finalement accoster en Espagne.
Au même moment commençait le dernier « record » de l’attente pour les rescapés de la Méditerranée centrale à bord de deux autres navires d’ONG de sauvetage : des négociations impliquant quelques Etats européens et la Commission européenne ont plongé 49 rescapés dans une incertitude interminable, dégradante et inacceptable pendant 19 longs jours. Les navires des organisations allemandes Sea Watch et Sea Eye ont fait des ronds dans l’eau des jours durant, sans pouvoir accoster. Comble de l’indifférence européenne envers ces survivants, les côtes maltaises s’offraient tous les jours aux yeux des rescapés bloqués à bord des navires. Par désespoir, l’un d’eux a fini par sauter à l’eau pour tenter de rejoindre la terre ferme à la nage. Secouru par les équipes de sauveteurs, cet homme aura donc risqué sa vie en mer à deux reprises en quelques jours.
Les conventions maritimes internationales ont précisément été conçues pour éviter de telles situations (1). Mais, depuis sept mois et la fermeture des ports italiens, les négociations politiques ad hoc sur la répartition de rescapés sur le territoire européen se répètent inlassablement. Les solutions trouvées par quelques Etats Membres de l’UE sont réelles mais tardives, mettant chaque jour un peu plus en danger les rescapés. Ces questions de répartition des personnes secourues ne peuvent en aucun cas conditionner et mettre en péril leur débarquement. Le 14 janvier, le navire Open Arms se voit interdire son départ du port de Barcelone vers la zone de recherche et sauvetage : les autorités espagnoles invoquent justement le manque de lieux sûrs et proches où débarquer… Mais bloquer les ONG qui portent secours en Méditerranée n’est pas une solution au manque de coopération de l’Union européenne. Un mécanisme commun, prévisible et coordonné doit être créé de toute urgence, car les départs des côtes libyennes -décembre l’a montré- se poursuivent.
« Horreurs inimaginables »
Chaque jour, des hommes, des femmes et des enfants continuent de risquer leur vie pour fuir la Libye et le bilan publié début janvier par le Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR) de l’ONU pour l’année 2018 est lourd. Au moins 2 260 personnes ont perdu la vie en mer Méditerranée l’année dernière dont 1314 (2) sur l’axe de la Méditerranée centrale. Et puis il y a les garde-côtes libyens, financés par l’Union Européenne, qui depuis le début 2017, toujours selon l’ONU, ont intercepté et ramené en Libye 29 000 personnes qui cherchent justement à fuir ce pays en proie au chaos. Un rapport onusien décrit les « horreurs inimaginables » auxquelles les personnes migrantes et réfugiées sont soumises dans le pays (3). Des conditions racontées par tant de témoignages recueillis après chaque sauvetage à bord de l’Aquarius pendant ses 34 mois d’activité.
Si les ponts de l’Aquarius pouvaient parler, ils raconteraient les près de 30 000 histoires, les douleurs, les horreurs de la Libye et de la traversée mais aussi les moments de joie retrouvée à bord de ce bateau ambulance. L’Aquarius fut un outil de sauvetage et de témoignage inoubliable et nous vous remercions infiniment pour avoir rendu cela possible.
Dans le contexte actuel, il est urgent de repartir pour poursuivre notre mission de sauvetage en mer. Ensemble, nous reprenons la mer en 2019.
(1) Une opération de sauvetage n’est considérée comme terminée que lorsque les rescapés sont débarqués le plus rapidement possible en un « lieu sûr » proche de l’endroit où s’est déroulé le sauvetage, c’est-à-dire un lieu où la sûreté des rescapés ne sera plus menacée et leurs besoins fondamentaux seront respectés.
(2) Chiffres de l’OIM (Organisation internationale pour les migrations)
(3) « Un rapport de l’ONU met en lumière les « horreurs inimaginables » des migrants et réfugiés en Libye et au-delà », https://news.un.org/fr/story/2018/12/1032271, 20 décembre 2018