Contexte migratoire en Méditerranée centrale

MÉDITERRANÉE CENTRALE : LA ROUTE MIGRATOIRE LA PLUS MORTELLE AU MONDE

Depuis 2014, au moins 17 918 personnes ont perdu la vie en Méditerranée selon les estimations de l’Organisation Internationale des Migrations (OIM).

En 2018, le nombre de morts en Méditerranée est estimé à 2 299 personnes – soit, en moyenne, 6 morts par jour [Missing Migrants Project, OIM]. 1 314 de ces décès ont été recensés en Méditerranée centrale au large des côtes libyennes. Ces chiffres ne prennent pas en compte les embarcations ayant disparu sans laisser de traces. Cet espace maritime qui sépare la Libye de l’Italie, où opère SOS MEDITERRANEE, constitue encore aujourd’hui la route migratoire la plus mortelle au monde, du fait de la distance et de la dangerosité de la traversée. Poussé.e.s dans des embarcations surchargées et totalement inaptes à la navigation en haute mer, les hommes, les femmes et les enfants qui fuient les persécutions dans les camps de détention en Libye s’accordent tous sur le même constat : « il vaut mieux risquer de mourir en mer que mourir à petit feu en Libye ».

Ces dernières années, nombreux.ses ont été celles et ceux qui, face aux violations des droits humains, à la persécution, aux conflits et à la violence, ont entrepris de fuir. Malgré le fait que la majorité des déplacé.e.s s’enfuient vers une autre zone de leur pays ou vers un pays frontalier, certain.e.s ont par la suite cherché à bénéficier d’une protection internationale en Europe.

Parmi ces personnes fuyant depuis la Libye, le nombre de celles qui y perdent la vie par rapport à celles atteignant la sécurité en Europe a drastiquement augmenté. En 2018, le HCR a recensé en moyenne un décès pour 14 arrivées depuis la Libye contre un décès pour 38 arrivées en 2017 suite à la forte réduction des capacités globales de recherche et de sauvetage [Voyages du désespoir, UNCHR]. Par ailleurs, l’accroissement de la capacité et de la zone d’opération des garde-côtes libyens et le financement croissant de l’Union Européenne (EU) a entraîné une augmentation de la proportion de personnes interceptées en mer et transférés dans des centres de détention libyens où les conditions de vie sont épouvantables. L’Organisation des Nations Unies estime à plus de 30’000 personnes interceptées et renvoyées en Libye depuis 2017 [Un rapport de l’ONU met en lumière les «horreurs inimaginables» des migrants et réfugiés en Libye et au-delà, ONU].

DISPOSITIFS DE SAUVETAGE EN MER ÉTATIQUES INSUFFISANTS

Depuis la fin de l’opération de secours de la marine italienne Mare Nostrum (i.e. Cette opération de la Marine italienne a duré un an de novembre 2013 à novembre 2014 et a permis de secourir 150 000 personnes en Méditerranée centrale), événement déclencheur de la création de SOS MEDITERRANEE, l’aide aux personnes qui risquent leur vie en mer pour atteindre l’Europe reste secondaire aux yeux des Etats et institutions européennes, la priorité étant la protection des frontières et la gestion des flux migratoires. L’insuffisance des moyens de sauvetage mis en place par les Etats – moyens essentiellement tournés vers la protection des frontières plus que le sauvetage en mer, comme l’opération Triton de l’agence Frontex – n’impacte pas le nombre de personnes tentant la traversée, car toutes fuient avant tout ce qui est généralement qualifié d’« enfer libyen ». Aussi, SOS MEDITERRANEE n’a-t-elle cessé d’interpeller les pays du continent européen pour qu’elle mette en place un dispositif de sauvetage efficace et suffisant en mer Méditerranée pour porter secours aux embarcations en détresses.

FINANCEMENT DES GARDES CÔTES LIBYIENS PAR L’UNION EUROPÉENNE ET RECONNAISSANCE DE LA REGION DE RECHERCHE ET SAUVETAGE LIBYENNE

Le 3 février 2017, les chefs d’Etats européens réunis à Malte ont signé la Déclaration de Malte, qui annonce l’affectation de 200 millions d’euros en Libye, notamment pour le financement, la formation et l’équipement des garde-côtes libyens. La ligne directrice de cette politique consiste à réexternaliser la question migratoire auprès des autorités libyennes. La stratégie européenne se traduit par la multiplication des interceptions par les garde-côtes libyens d’embarcations. Les personnes à bord sont ramenées en Libye et internées dans des centres de détention où leur intégrité physique et le respect de leurs droits les plus élémentaires ne sont absolument pas assurés, en totale contradiction avec le droit maritime et humanitaire international. En effet, les conventions maritimes (notamment SAR et SOLAS) définissent l’obligation de débarquer les rescapé.e.s dans un « lieu sûr » où leur vie n’est pas mise en péril, leurs besoins humains fondamentaux satisfaits et leurs droits fondamentaux protégés, dans le respect du principe de non-refoulement. Au vu des conditions qui y règnent, la Libye ne peut en aucun cas être considérée comme un lieu sûr. De plus, le 27 juin 2018, l’OMI transfère en catimini l’immense région de recherche et de sauvetage au large de la Libye jusque-là de facto sous coordination italienne, aux autorités libyennes à travers la création d’un Centre de coordination des sauvetages libyen.

Depuis, les ONG sont confrontées à une confusion croissante quant à la coordination des sauvetages, ce qui met en danger la vie des rescapé.e.s et la sécurité des équipes. En effet, les équipes de SOS MEDITERRANEE témoignent du fait que les garde-côtes libyens ne répondent que rarement aux appels (téléphone, Inmarsat-C, mail…) de l’Ocean Viking lorsque lui-même repère et signale des embarcations en détresse et demande des instructions. Lorsque l’Ocean Viking en réfère au centre de coordination de Rome en désespoir de cause, le MRCC le renvoie vers la Libye. Il n’y a donc plus de coordination dans la zone depuis que le MRCC Rome a transféré la coordination au JRCC libyen. Cette situation a entraîné des retards dans l’ensemble des interventions de recherche et de sauvetage, ce qui a mis des vies en danger. Ce manque de coordination et/ou de réactivité de la part du JRCC a également entraîné des cas répétés de manque d’échange d’information.  Alors que nous entendions des communications radio au sujet d’éventuelles embarcations en détresse, nous étions très rarement en mesure d’obtenir de l’information lorsque nous appelions le JRCC libyen pour offrir notre disponibilité à prêter assistance.

L’ENFER LIBYEN

« Personnes rescapées à bord de l’Aquarius, elles racontent la même histoire. Elles pourraient être cent, mille à témoigner, hommes ou femmes, leur récit serait le même.

Ce qu’ils disent tient en un mot : la Libye est un enfer pour les migrants. C’est la première chose qu’ils osent dire en écarquillant les yeux tellement ils ont du mal à croire ce qu’ils ont vécu. Et quand le médecin à bord a demandé à l’un d’eux de quoi il souffrait, l’autre a fini par répondre : « J’ai mal à la Libye ».

Les tortionnaires ne disent jamais rien sinon une chose : Tu paies ou tu meures. Battu à coups de poings, de pieds, de gourdins, de câbles électriques, ils ont vu les autres migrants mourir à côté d’eux ceux dont on laissait les cadavres dans leurs cellules pour démontrer aux autres qu’ils avaient intérêt à payer la rançon.

Ils parlent du viol systématique des femmes sur la route, celles, traumatisées, dont le médecin à bord dit qu’elles restent murées dans leur silence. Ils parlent aussi du viol des hommes. Et de ces passeurs ou geôliers impitoyables qui les battent et leur crachent dessus en leur répétant qu’ils ne valent pas le pain qu’on leur donne. » [Propos recueillit par Jean-Paul Mari à bord de l’Aquarius, juin 2016]

Fin février 2019, la chaîne de télévision britannique Channel 4 diffuse en prime-time des images des centres de détention en Libye, notamment entre les mains de passeurs et de trafiquants. Les téléspectateurs découvrent des images insoutenables, recueillies sur les réseaux sociaux : des femmes et des hommes y sont battus, suspendus par les pieds, attachés avec des chaînes, menacés par des armes à feu.

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