#58 [L’ŒIL DU PHOTOGRAPHE] Anthony Jean, photographe à bord de L’Ocean Viking
Me voilà de retour à bord, cela fait maintenant trois ans, à quelques jours près, que je couvre la mobilisation de la société civile pour assurer le sauvetage de gens voués à mourir en haute mer. Me voilà de retour à bord pour une septième rotation en Méditerranée centrale, sur cet incroyable nouveau navire qu’est l’Ocean Viking. J’avais participé en juillet l’année dernière à son transit de Pologne à Marseille, mais pour la première fois j’embarque sur le nouveau navire de SOS MEDITERRANEE pour partir en eaux internationales au large des côtes libyennes. Nous avons réalisé trois sauvetages dès la première semaine, au total 276 personnes à bord, sauvées.
C’est sur le troisième sauvetage que j’ai pris cette photo, une opération au cours de laquelle j’ai pu vérifier tout le professionnalisme des membres de l’équipe de la SAR (Search and Rescue) team alors que nous étions entourés de plusieurs navires, à quelques cordées d’une plate-forme pétrolière, dans 2,5 mètres de creux. Tout ce que nous étudions en entraînement, toute cette méthode vérifiée, prouvée, approuvée, enseignée après des centaines de sauvetages : ici encore toute la procédure était appliquée à la manœuvre près. Pourtant la difficulté était là, dans cette mer démontée. Je ne sais pas à combien de sauvetages j’ai participé, mais celui-ci de mémoire fait partie des plus complexes au vu des conditions marines.
J’ai choisi cette image, bien que plutôt mal composée et pas spécialement remarquable, pour illustrer cet « Œil Du Photographe ». Elle rassemble dans un seul cadre toutes les composantes de cette incroyable opération du 19 février dernier. Sur cette photo, vous pouvez apercevoir Easy 1 distribuer des gilets de sauvetage à l’embarcation en détresse, vagues dans le dos pour permettre au pilote d’éviter d’écraser accidentellement la fragile embarcation et doucement la pousser loin de la plate-forme pétrolière pour éviter toute collision ; on peut entrapercevoir Easy 3, entre deux vagues, qui a été déployé au vu des conditions difficiles, prêt à aller chercher n’importe quel système de flottaison d’urgence si l’embarcation venait à casser ; l’Ocean Viking maintient une position à proximité de la scène de sauvetage au cas où des dispositifs de flottaison devraient être lancés ou que des cas médicaux nécessiteraient une évacuation immédiate. Je prends la photo depuis Easy 2 en position « chien de garde » du côté opposé à Easy 1, pour une complète surveillance à 360 degrés de l’embarcation. En arrière-plan, on peut voir la plate-forme pétrolière de Sabratha, ainsi que des navires marchands. Pour finir, le premier plan enfin, une vague de cette mer Méditerranée grise et tourmentée.
Le problème avec la photographie, c’est sa difficulté à rendre justice à la mer. La photo écrase, aplatit, réduit ces milliers de mètres cubes que l’on gravit et redescend. Il faut vous en remettre à votre imagination. Mais pour vous aider, je peux vous dire que ce jour-là, il a fallu s’accrocher. Bien que je sois peu sensible au mal de mer, il était difficile de faire le point sur l’horizon. Les personnes vomissaient par-dessus bord les unes après les autres, sur un bateau en caoutchouc qui aurait pu casser à n’importe quel moment si la SAR team n’avait pas réussi à contrôler les mouvements de foule. La gestion humaine du sauvetage.
Nous avons réalisé 4 allers-retours, 25 personnes sur Easy 1, 17 personnes sur Easy 2. En moins de deux heures, tout le monde était à bord, sain et sauf. Cette efficience est nécessaire, mais remarquable, superbe…
Je souhaite que les gens comprennent que lorsqu’ils soutiennent SOS MEDITERRANEE, ils soutiennent des gens dévoués à une seule mission, sauver des vies. Je souhaite aussi qu’ils sachent qu’ils soutiennent des professionnels d’une efficacité redoutable !